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Les contes du réel
10 novembre 2017

Les prophéties des temps révolus

675-psychanalyste

 

— Docteur, je viens vous voir parce que je fais des rêves prémonitoires.

Enfoncé dans un confortable fauteuil, face au médecin, le petit homme rondouillard à la calvitie prononcée ne cessait de triturer son chapeau. Le praticien ôta ses lunettes pour consulter la fiche posée sur son bureau. Son œil exercé avait déjà noté les traits tassés par la fatigue, qui ajoutaient quinze ans aux quarante-cinq inscrits sur la fiche.

— Je vous remercie très sincèrement de me recevoir, d’autant que je sais que vous êtes un psychiatre très sollicité.

Le petit homme parlait d’une voix aigüe avec un débit haché, comme si chaque mot lui demandait un effort.

Le médecin leva la main dans un geste de protestation.

— Si, si, docteur, votre réputation n’est plus à faire et d’ailleurs, le docteur Le Bail qui m’envoie, ne tarit pas d’éloges sur vous. Elle m’a dit, et ce sont ses mots précis, « Monsieur Ledoux, si quelqu’un peut quelque chose pour vous, ce ne peut être que le docteur Halphand, il s’est fait une spécialité des cas singuliers comme le vôtre ».

Comme s’il en avait déjà trop dit, le petit homme se tut. Le docteur Halphand, qui était un séduisant quinquagénaire, avait la faculté de moduler sa voix à l’envie tel un véritable instrument dont il maitrisait à la perfection les subtilités. C’est sur un ton apaisant qu’il s’exprima.

— Et si vous me racontiez comment tout cela a commencé. Prenez votre temps, Monsieur Ledoux, je ne vous interromprai que si des points me paraissent obscurs.

Le patient se racla la gorge pour s’éclaircir la voix, puis entama son récit.

— La première fois, c’était il y a deux ans. Dans mon rêve, je suis assis devant la table de la cuisine et je regarde l’horloge devant moi. Soudain, les aiguilles se mettent à s’emballer et tournent à toute vitesse. Elles s’arrêtent brusquement et je vois alors qu’il est exactement huit heures. Aussitôt, je me retrouve debout dans un hall immense, richement décoré, avec des tapis au sol et des lustres en cristal blanc accrochés à des plafonds dorés, comme dans un palais. Je suis au milieu d’une foule d’inconnus qui regardent tous dans la même direction. Leurs lèvres remuent simultanément et je comprends qu’ils sont en train de compter. Au bout d’un moment, je réalise qu’il s’agit d’un très lent décompte, « cinq, quatre, trois ».

Un à un, il égrenait les chiffres.

— Le décompte est de plus en plus lent, « deux ». On dirait qu’il ne va jamais arriver au terme, « un ». Le temps semble suspendu et tout à coup, c’est une explosion de joie dans la foule. Les gens crient, tapent des pieds, applaudissent, ils sont comme hystériques. La scène est silencieuse, comme dans un film muet, mais je peux voir qu’ils sont fous de joie. Je m’aperçois alors qu’ils regardent un écran géant sur lequel apparaissent deux portraits qui se font face. Il s’agit d’un homme et d’une femme que je ne connais pas. Au-dessus de chaque portrait s’affiche un nom et au-dessous un pourcentage. Et là, je me réveille brusquement. C’est comme ça que j’ai su que le président Mercier serait élu face à Christine Bosson, avec cinquante-huit pour cent des suffrages, ce qui est advenu comme vous le savez.

Un léger sourire flotta sur les lèvres du psychiatre.

— Vos rêves sont très précis. Cependant, permettez-moi de vous rappeler, qu’avant l’élection, tous les sondages donnaient le président Mercier vainqueur sans coup férir. Quand à l’exactitude du score, elle peut facilement s’expliquer.

— Vous avez raison, Docteur, sauf que j’ai fait ce rêve plusieurs mois avant que Michel Mercier ne se déclare, alors qu’il était encore un parfait inconnu. Comment expliquez-vous ce phénomène ? 

Les deux mains agrippées à son chapeau, la gorge nouée, Monsieur Ledoux semblait lancer un appel à l’aide.

— Pardonnez mon interruption. Je vous en prie, poursuivez, vous avez parlé de rêves au pluriel.

La douceur du ton eut pour effet de détendre le patient.

— Avant de passer aux autres rêves, permettez-moi de vous donner quelques compléments sur celui-ci. Ce premier rêve m’a paru si insolite que je l’ai noté dans un carnet.

Comme le psychiatre s’apprêtait à intervenir de nouveau, il s’empressa d’ajouter.

— Non, docteur, ça n’est pas mon habitude de noter mes rêves mais celui-ci m’a tellement marqué, qu’au réveil, je me suis empressé de le retranscrire, de peur de l’oublier. Sur le moment, j’ai cru que c’était un de ces rêves qu’on fait quand on est perturbé, vous savez, quand on est mal fichu ou dérangé, bien que celui-ci n’ait rien eu d’angoissant. Non, je le trouvais plutôt incongru d’autant que je ne m’intéresse pas à la politique. Cependant, il y avait dans ce rêve une atmosphère étrange, un je ne sais quoi de mystérieux. Bref, une fois le carnet refermé, je me suis empressé de l’oublier, alors, imaginez ma stupeur, quand, quelque temps plus tard, j’ai entendu parler, pour la première fois, ou plutôt dans mon cas, pour la seconde, de Michel Mercier. Je n’en revenais pas, si tout n’avait pas été inscrit noir sur blanc, moi-même, je ne l’aurais pas cru.

— Ce carnet, vous l’avez avec vous ?

— Je suis désolé, je ne l’ai pas amené mais je pourrais l’apporter une prochaine fois. Il y aura bien une prochaine fois, Docteur ? interrogea timidement Monsieur Ledoux.

— Concentrons-nous sur cette séance. Que s’est-il passé ensuite ?

— Vous voulez parler du second rêve ?

— À vous d’en parler, Monsieur Ledoux, répondit le médecin en affichant un sourire l’invitant à poursuivre.

— Eh bien, le deuxième rêve a eu lieu il y a six mois.

Le patient examina son chapeau puis releva la tête pour chercher le regard du psychiatre. Ce dernier le fixait attentivement, les mains jointes, la tête un peu penchée, le visage inexpressif. Monsieur Ledoux prit une inspiration.

— Cette fois, je suis dans une concession automobile avec mon cousin Louis. Il faut vous dire que nous sommes, je devrais plutôt dire, étions, fâchés avec Louis. Dans mon rêve, Louis me désigne un cabriolet rutilant, il grimpe dans le véhicule à la place du chauffeur et m’invite à ses côtés. L’instant d’après nous roulons à vive allure sur la route de la corniche. Il fait nuit et la Lune brille d’un éclat lumineux. Louis me parle en me fixant, sans regarder la route. Je n’entends pas ce qu’il me dit. Les virages se succèdent de plus en plus vite, la voiture accélère encore. Je sais que nous allons rater un virage et nous écraser des centaines de mètres plus bas. Soudain, la voiture quitte la route. Louis lâche le volant et je l’entends me dire : « Je suis désolé ». Le cabriolet plane un instant dans les airs avant d’entamer une chute vertigineuse. Je me recroqueville sur mon siège dans l’attente du choc et c’est à ce moment que ...

 Pour lire la suite, rendez-vous sur : Les contes du réel: Recueil de nouvelles

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