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Les contes du réel
13 novembre 2017

Les légendes des chevaliers de la quadrature du cercle

chapitre4

 

Livre II – Le règne du prince bienveillant

Chapitre 1 – Tel Jupiter, sur son trône

Publié le 12/11/2017

suite du Chapitre 3 du Livre 1

 Seul dans la salle du siège, le prince Emmanuel se tenait pensif sur son trône. Six mois avaient passé depuis son couronnement. Il songeait avec nostalgie aux batailles épiques de sa campagne victorieuse, campagne à nulle autre pareille, où l’ardeur et la jeunesse avaient triomphé de la haine et du repli sur soi. Sous les coups de boutoir de ses armées, le monde ancien s’était effondré et de ses décombres avait émergé un monde nouveau. Les souffrances inouïes des combats étaient oubliées et, de cette période, le jeune prince ne conservait que le souvenir de la fraternité d’armes et des succès prodigieux de sa guerre éclair. Pour chasser ses pensées mélancoliques, il passa en revue les événements qui s’étaient succédé depuis son avènement.

 Lui, qui deux ans plus tôt, n’était que le second écuyer du prince François le Batave, tutoyait désormais tous les souverains des terres connues, à l’exception, bien sûr, de l’antique Reine d’Albion, qui se tenait figée et impénétrable dans son palais. A peine intronisé, le jeune prince avait rencontré le grand chef de la nation yankee, Donald Dingo, un personnage fat et grossier, au comportement puéril et fantasque, qui, contre toute attente, avait été désigné pour diriger ce grand peuple épris de liberté. Lors d’une joute amicale, le prince Emmanuel, grâce à sa poigne de fer, avait battu ce butor à son propre jeu. Le tsar démo-autocrate, Vladimir 1er, souverain expérimenté et retors, avait fait le déplacement depuis ses terres glacées pour faire la connaissance du jeune prince dont tout le monde libre bruissait de rumeurs flatteuses. Dame Angela, dite Angela la prudente, et Dame Theresa, dite Theresa l’asthmatique, car elle souffrait de toux chroniques, gouvernaient respectivement les tribus germaines et la perfide Albion. Elles voyaient toutes deux leur autorité remise en cause par leurs vassaux. Aussi, profitant de leurs difficultés momentanées, le prince Emmanuel s’imposait comme le suzerain du Vieux Continent, en attendant d’être sacré Maître du Monde Libre, comme l’annonçait certains devins.

 Sur le front intérieur, la situation semblait toute aussi prometteuse. Depuis leur défaite cinglante, ses ennemis erraient, désorientés, ou se terraient en attendant des jours meilleurs. La sorcière bleue, cherchant un bouc émissaire à son humiliation, avait renvoyé son confident, Florian l’apprenti sorcier, qui, décidé à s’émanciper, devint un mage dont les sorts manquaient singulièrement de puissance. La sorcière, jadis si crainte, faisait pâle figure, semblant s’être consumée dans la bataille. Elle se traînait, sans énergie ni volonté, et ses partisans, naguère si disciplinés, commençaient à murmurer contre elle. À peine la défaite consommée,  Nicolas le Couard avait dénoncé son alliance avec la sorcière bleue et prétendait à nouveau se poser en chef valeureux, alors que nul n’oubliait sa piteuse dérobade. Les troupes du chevalier Benoît le Frondeur erraient comme des âmes en peine, cherchant vainement un prince droit et juste qui saurait les guider vers un autre monde, plus équitable et plus durable. Parfois, le prince Emmanuel croisait, au détour d’un chemin, le précédent souverain, François le Batave. Par jeu ou par par calcul, ils échangeaient alors quelques piques. Le prince François de la Sarthe s’était définitivement retiré dans un monastère où il avait fait vœu d’enrichissement personnel. Le prince Nicolas l’Agité, qu’on pensait insubmersible, s’était métamorphosé en spectre et il n’apparaissait qu’à ses plus fidèles dévots. Seul subsistait le Tribun des Bois, dont l’agitation redoublait mais qui ne parvenait pas à entraîner le peuple Franc dans ses imprécations fumeuses. Il avait néanmoins réussi à fédérer autour de lui une petite troupe de disciples qui le suivait, les yeux fermés. Cependant, un nouveau prétendant, venu des terres arides de la Droite Extrême, le triste sire Laurent du Puy en Velay, dit Laurent l’Assisté, tentait de rassembler les tenants de l’identité malheureuse. On l’appelait ainsi car, depuis toujours, il vivait aux crochets de la nation franque. Ce triste sire se faisait passer pour un homme du commun alors qu’il était un pur produit du sérail. Il pourfendait dans un même élan les nécessiteux et les princes, n’ayant lui-même ni noblesse ni pitié. On le disait héritier du prince Nicolas l’Agité, dont il singeait les grimaces, mais l’esprit de cet ancien souverain refusait de lui apparaître.

Malgré tout, le peuple Franc, après l’euphorie de la victoire du prince bienveillant, semblait retomber dans ses travers. Il renâclait aux réformes pourtant jugées inéluctables par tous les devins, pythies et autres prophètes. Agacé par ces sourdes résistances, le prince Emmanuel en perdait sa bienveillance et se laissait aller à des remarques dignes de Nicolas l’Agité. L’esprit de ce dernier hantait-il le palais où s’enfermait le jeune prince ? Pourtant, la métamorphose du royaume des Francs en une terre où couleraient le vin et le miel pour chacun, se poursuivait. Il semblait que la promesse d’un monde meilleur serait enfin accomplie. Elle était déjà en de se réaliser pour les plus fortunés, comme l’exigeait la loi divine du Marché, dont la main invisible gouverne les nations. Cependant, au fond de lui, le prince Emmanuel ressentait un vide. Une lassitude déjà l’envahissait. Ce peuple si versatile méritait-il tous ses efforts ? Comme il aurait été plus enthousiasmant de gouverner les Germains et que de grandes choses aurait-il déjà accompli à leur tête ! Alors que la lourde porte de la salle du siège s’ouvrait lentement, un sourire enjôleur vint se plaquer sur le visage du souverain des Francs, tandis que ses yeux clairs brillaient d’un éclat glacé.

À suivre…

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